dimanche 30 octobre 2011

Les marins du dimanche

Après des semaines de révisions de concours où, pendant mes pauses, la seule activité dont j'étais capable était de larver devant des films d'horreur (les zombies sont de très bons compagnons d'infortune) et où ouvrir un livre représentait un effort trop conséquent, je me suis rattrapée en faisant une petite cure de bd. Et la moisson a été plutôt bonne.

Tout d'abord, un gros coup de coeur pour un livre qui m'est tombé dans les mains par hasard, L'amourir, d'Ozanam et Tentacle Eye. L'histoire d'un marin au passé sombre, Wirde, qui débarque dans une ville soumise à un régime autoritaire, où la liberté est un concept assez flou, et où la loi "de fin de vie" oblige les personnes de plus de 75 ans sans revenus à mourir pour ne pas aggraver le déficit national. On suit alors l'histoire d'amour entre Wirde et Lillie, danseuse de cabaret et opposante au parti en place, en parallèle avec l'histoire d'une résistance souterraine à laquelle ils vont prendre part au-delà de ce qu'ils avaient tout deux imaginé.
Dans cet album, je regrette juste la complexité de la narration, où les allers-retours entre passé et présent embrouillent un peu le déroulement de l'histoire. Heureusement, la confrontation amour/jalousie et oppression/résistance arrive à nous garder sur les rails. Mais le vrai coup de maître dans cette bd, ce sont les illustrations. Tentacle Eye, en plus d'un dessin sublime, qui justifie à lui seul la lecture, joue avec les codes de la bande dessinée de telle sorte qu'il sublime complètement le scénario (ça fait un peu pompeux dit comme ça, mais si je disais que le dessin est beau à en faire péter mes bretelles de soutien-gorge, vous ne me prendriez pas au sérieux). J'en profite pour faire passer un petit message : messieurs les illustrateurs, avoir une présence Internet frôlant le néant intersidéral, ça n'est plus possible. Faudra pas vous étonner si les lecteurs finissent par débarquer chez vous, un soir de pleine lune, la bave au lèvres.



De Profundis : l'étrange voyage de Jonathan Melville, de Chanouga, nous conte une autre histoire de marin (c'est pas fait exprès, mais ça tombe bien, comme ça j'ai une belle transition) qui, après un naufrage, est recueilli sur une île par deux femmes étranges, décidées à le garder pour elles, de gré ou de force. On trouve dans ce conte pour grands enfants un brin de sorcellerie, du danger, des créatures marines, une ambiance mi-féérique, mi-inquiétante, et quelques illustrations magnifiques en prime. Les bons contes pour adultes dans la bande dessinée sont suffisamment rares pour que celui-ci mérite un petit détour. Et, wasabi sur la cacahuète, Chanouga possède un blog, lui (message subliminal tout ça). Allez voir, il y a plein de belles choses.



Quelques petites déceptions en revanche, sur des bd que j'attendais de pied ferme (un peu trop peut-être). La dernière collaboration entre les Kerascoët et Fabien Vehlmann, Voyage en Satanie,  ne m'a pas autant chavirée que je l'espèrais, surtout au niveau de l'histoire. Mais ils avaient mis la barre tellement haut avec Jolies Ténèbres que c'est difficile de leur en vouloir. Déçue aussi par Vivre dessous, le dernier ouvrage collectif de Manolosanctis, qui ressemble beaucoup trop à 13m28, leur précédent album collectif, pour se démarquer. D'autant que le travail du scénario (Thomas Cadène, qui parrainait l'ouvrage, ne doit plus avoir beaucoup de cheveux sur la tête, vu le nombre d'auteurs participant) tiens moins bien la route. On retrouve d'ailleurs beaucoup des illustrateurs qui font désormais partie de la team de base de l'éditeur, et qui sont excellents pour la plupart. En parlant de Manolosanctis, pour ceux qui ont loupé l'annonce de la semaine dernière, l'édition papier, c'est terminé... Dommage pour Renaud et Antigone, pour les Phantasmes et le Carnaval, pour Mon cauchemar et pour moi...

mardi 4 octobre 2011

Les non-casées et leur problème de case

Bennett Sisters (Library of Congress)
Que ceux qui ne supportent plus d'entendre un "Madame ou un "Mademoiselle" passent leur chemin. Je préfère prévenir, sinon vous allez m'en vouloir, et moi je vous aime bien alors ça m'embêterait. Je ne vais pas passer des plombes sur la campagne "Mademoiselle, la case en trop", la blogosphère s'est déjà bien assez étripée comme ça. Et d'autres en parlent bien mieux, comme La Bouseuse ou Crêpe Georgette. J'ajouterais seulement qu'au-delà des arguments, déjà douteux, de superficialité de la campagne et de non-priorité vis-à-vis d'autres combats, j'avoue avoir du mal à comprendre la position de celles qui refusent catégoriquement de perdre le "privilège" de se faire appeler mademoiselle, arguant que quand même, ça fait plus jeune hihi (qui a parlé de superficialité déjà ?).

Si je parle de tout ça sur ce blog, c'est parce qu'il se trouve que c'est mon métier qui m'a fait prendre conscience du caractère absurde et surtout intrusif de cette petite case en trop. Parce que figurez-vous que pour s'inscrire dans une bibliothèque, il faut remplir un formulaire. Et donc cocher une case. Sur ce, le bibliothécaire s'empresse de rentrer toutes les informations vous concernant dans l'ordinateur. Souvent, les gens n'y font pas attention et ne cochent aucune case. Mon réflexe était alors de demander au moment de la saisie, lorsqu'il s'agissait d'une femme : "Madame ou Mademoiselle ?". Parce que bon, moi on m'a dit qu'il fallait remplir les cases. En dehors du cadre administratif, j'ai toujours trouvé bizarre que certains lecteurs et lectrices, voulant m'interpeller, se fendent systématiquement d'un "Enfin... Madame ou Mademoiselle ?", parfois avec une pointe de curiosité mal placée, mais souvent gênés d'avoir pu se tromper sur l'appellation. Mais lorsqu'il s'agissait d'une inscription administrative, ça ne me perturbait pas la matière grise.

Jusqu'au jour où cette question a provoqué chez une future-lectrice une mini-crise d'hystérie, à base de "vie privée", "vous regarde pas", "de quoi j'me mêle", "scandale", "pour qui vous vous prenez". Dans le désordre. Sur le coup, je me suis seulement dit qu'elle aurait pu éviter de monter si haut dans les décibels. Et puis mes neurones se sont enclenchés, et je me suis dit qu'elle avait peut-être raison finalement. Qu'est-ce qui me permet, sous couvert d'une inscription administrative, de demander à une femme si, oui ou non, elle est mariée ? Parce que ça revient clairement à poser cette question. Non seulement cette information est inutile, mais son appartenance au domaine du privé amène souvent à un jugement qui n'a pas lieu d'être (clairement, la "Madame" de 20 ans tout comme la "Mademoiselle" de 60 ans font au mieux sourire, au pire attirent les critiques. Et ne parlons pas de celle de 30 ans qui se voit créditée d'un jaugeage de la marchandise au moment où elle précise "Mademoiselle". J'aimerais bien dire que j'exagère, mais en fait non). Je me demande quelle serait la réaction des lecteurs masculins si je commençais à leur demander au moment de l'inscription si ils sont mariés. Je parierais sur quelque chose de cet ordre là : "vie privée", "vous regarde pas", "de quoi j'me mêle", "scandale", "pour qui vous vous prenez". Et ils auraient bien raison.

Depuis cet incident, lorsque les femmes ne cochent aucune case sur leur formulaire, je ne peux pas m'empêcher de penser à un acte de résistance (j'imagine bien ce que je veux) et je me garde bien de leur demander quoi que ce soit. Pour moi, ce sont des "Madame", rien d'autre à ajouter.
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